Kurt Cobain. C’est avec lui que j’ai vécu ma première crise de panique. J’avais 18 ou 19 ans. Ses yeux défoncés me fixaient. Comme d’habitude. Tous les matins. Tous les soirs. Je m’éveillais et m’endormais sous son regard transperçant. Fixé sur mon mur. Cette phrase positive accompagnant ma vie : I hate myself and I want to die.
Un soir, les mains moites, le cœur battant, la bouche sèche, les idées déchirant mon cerveau de leurs mains machiavéliques, j’ai cru l’entendre me parler. Je respirais à peine, pensant ainsi assoiffer le monstre qui avait pris possession de ma tête. J’ai eu la peur de ma vie. Des orages électriques déchiraient le ciel de Montréal. Mon beau-père s’est levé et s’est assis à la table de la cuisine, devant moi. Nous avons parlé. Calmement. L’importance du soutien des gens que l’on aime.
Quelques années plus tard, mon cœur essoufflé et ma tête étouffée m’ont traîné jusqu’aux urgences. Pas de crise cardiaque! De l’anxiété. Bonne nouvelle…
Vraiment?
Pendant des mois, j’imaginais que des vers solitaires planifiaient une sortie buccale tant mon système digestif était congestionné par les pensées anxiogènes. Au 811, j’ai eu en guise de seule réponse : « Fermez votre bouche? » La crise cardiaque prenait des airs de vacances au soleil.
Pendant des années, je ne savais que faire de ces sensations physiques, de ces pensées irrationnelles qui déchirent tout sur leur passage. Soi. Les autres.
Un geste significatif
Une décennie plus tard, j’ai le bonheur de vivre sous une famille d’anges, près d’un lac. Un soir, visitée par ces parasites grouillants de paroles infectes, je me promène près de l’étendue d’eau. Je la regarde. Je décide d’y plonger la main, puis l’avant-bras jusqu’au coude. C’est l’automne, il fait froid. D’un coup, je suis de nouveau dans le moment présent. La salive coule dans ma bouche. Mon mal de ventre s’apaise. En levant les yeux, je peux de nouveau apercevoir les étoiles et la lune. Les parasites ont disparu.
À partir de ce moment, je décide de vaincre l’anxiété par une arme invincible. Incontrôlable. Accessible. Gratuite.
La nature.
Nul besoin d’être isolée en forêt ou sur le sommet d’une montagne. La seule présence du vent peut suffire à m’apaiser.
De nombreuses études scientifiques ont été réalisées à propos des bénéfices psychologiques de la nature. D’une immersion totale à la stimulation des sens par des images, des odeurs ou des sons, les écosystèmes et leurs merveilleux habitants colorés peuvent contribuer à la douceur de nos jours, et de nos nuits.
M’endormir aux sons d’un orage (des listes de lecture gratuites sont disponibles sur YouTube)
Écouter le chant des oiseaux pour m’égayer (YouTube, encore une fois!)
Frotter mes mains sur les branches d’un cèdre, une sensation physique et une odeur réconfortante
M’arrêter sentir les lilas en fleur (n’avez-vous sérieusement pas le temps de vous offrir un tel cadeau?)
Regarder les traces des pattes d’animaux dans la neige
Écouter les feuilles vibrer au rythme des rafales
Le voyage d’une vie
Personnellement, c’est l’eau que je préfère. Les écosystèmes aquatiques sont pour moi le refuge ultime. Les rivières. Les lacs. Les étangs, les tourbières. Les chants des grenouilles au printemps révèlent à eux seuls la beauté du monde. Que l’on détruit à coup de condominiums de luxe, dont les rues avoisinantes sont par la suite nommées : « Avenue de la rainette », alors qu’elles sont simplement ensevelies sous l’asphalte… mais, c’est un tout autre débat.
En 2015, je me risque pour le voyage d’une vie. La traversée de l’océan Atlantique en compagnie d’une perle dorénavant essentielle à ma vie, Cath-parsley, dit La Chérie.
Partir.
Six semaines devant l’immensité.
Une Transatlantique sur un voilier de 100 pieds, trois mâts, une quinzaine de cœurs, au moins dix fois plus d’émotions. Un océan. Un ciel. Des milliers d’étoiles.
Les vagues. Intérieures. Et les autres.
Une traversée inoubliable racontée sur une trame sonore dont les harmonies rappellent celle trop souvent oubliée du bonheur lié à la Terre; humain, bien-être et nature, une tierce fondamentale.
En Martinique depuis quelques jours, les deux Québécoises reluquent les voiliers. Le Bel Espoir et le Rara Avis, deux goélettes de l’Association française AJD, attendent impatiemment qu’on leur largue les amarres. Qu’on leur souffle dessus. Qu’on les fasse valser sur la houle d’Atlantique jusqu’à leur port d’attache, en Bretagne, à l’Aber Wrach.
Il est maintenant minuit. C’est le départ de Grande-Anse d’Arlet, en Martinique. Sur le pont, deux équipes. La première, formée de dix personnes, court partout. En criant des mots certes français, mais qui réfèrent à des concepts inconnus :
« Ça me prend quelqu’un à la garde tribord de la misaine! »
« Qu’est-ce qu’on fait avec le hunier? »
« On hisse le clin foc! »
« Quelqu’un a choqué la balancine de l’artimon? »
Et l’autre moitié qui attend. Fébrile. Les yeux ouverts si grands, pour gober toute l’information possible, malgré la noirceur installée depuis quelques heures déjà. Comme si le blanc de la pupille facilite la compréhension de ce qui se passe. On veut toujours les ouvrir plus grands. Encore plus grands.
Le Bel Espoir déploie sa voilerie, l’expose au ciel, l’offre au vent et fait confiance à l’océan. Sa coque en bois craque sous la houle de la mer des Caraïbes. Il cri sa joie. Devant, l’écume formée par la proue en mouvement prend la forme de mille chevaux sauvages. Avec eux, et les 20 personnes perchées sur son dos, il commence sa traversée de l’océan atlantique. Majestueux Bel Espoir.
L’océan. Être si près et si loin en même temps. Les mystères restent entiers, malgré les quelques rencontres spectaculaires. Aujourd’hui, l’horizon me rassure : « T’inquiètes, t’es encore loin du retour ». Comme si je soufflais de savoir que mon quotidien et ses tentacules ne peuvent me rattraper pour l’instant.
Peut-on se lasser d’admirer l’horizon? Comme si Dame Nature réinventait sa toile à chaque instant. Un sourire pour qui sait s’abreuver à même cet océan de beauté. Les vagues sous la proue du bateau; comme des milliers de chevaux sauvages qui courent dans la même direction que nous. Ils nous portent et nous supportent dans cette quête. Quête de mer? Quête de Terre? Quête de soi?
Le Bel Espoir, c’est une paire de bras d’un grand-père qui accepte tout. Et qui le montre en te berçant constamment.
Vivre 40 jours dans un poème. C’est ce que cette expérience m’a donné.
Aujourd’hui, je la transporte quotidiennement avec moi. Dans mon cœur, dans ma tête, dans mon âme.
Certes, je ne peux m’y réfugier concrètement chaque fois que l’anxiété me happe de plein fouet. Mais le grand Laurent, Saint de son prénom, m’y transporte à sa façon. Peu importe ce qu’il adviendra, je sais que je peux me réfugier sur ses rives. Compter sur lui. Lui balancer ces parasites anxiogènes, qu’il peut avaler en une seule bouchée.
Et vous, quel est votre port d’attache ?
Catherine Ferland Blanchet est étudiante à la maîtrise professionnelle en travail social, à l'Université Laval. Après dix ans comme chargée de projets pour des organismes à but non lucratif en gestion de l'eau, plusieurs voyages, de nombreuses crises de panique et des montagnes russes quotidiennes, elle apprivoise tranquillement les bénéfices de l’anxiété. Elle veut se spécialiser en relation d'aide en utilisant la nature comme outil d’intervention. Pas l’aventure. Pas le plein-air. La nature dans toute sa splendeur, à l'état pur.
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